Fusain, acrylique, papiers divers, colle et fil à coudre sur toile pré-enduite découpée par mes soins, 248cm x 210cm
De la même oeuvre ...
Janvier 2015, une marche entre amis, sur le plateau, le givre, la neige, le brouillard ………
La carrière dite de la main - ces personnages de pierre, fantomatiques dans le brouillard- est une ancienne décharge où force pancartes exhortent à ne plus dépose, là, n’importe quoi……
L’amitié comme les doigts d’une main, même en marchant ça se défait, s’espace, s’efface dans les lignes brouillées de nos vies, les chiens « compagnons de misère », Charlie qui nous apprit à rire de tout, écrabouillé, bousillé dans la terreur, l’internet des armes à profusion, la haine en char d’assaut.
Et « Viva la Muerte » comme hurlait un général franquiste galvanisant ses troupes !
De l’autre côté de la haine, il y a le passé de nos états et leurs colonies, des peuples avilis, honnis.
Pauvres gens, propriétaires enrichis, bien-pensants, éducateurs chrétiens la fibre commerçante blanche - au goût du jour en somme - tous, ils clament leur innocence et leur douleur. A ce jour devant nous, il y a la mer de nos enfances, si douce, si chaude, si parfumée, et des Hommes fuyant le désespoir qui s’y noient par centaines, dans le présent de tous.
Je marche, tu marches, nous marchons jusqu’à nous étourdir de silence.
Ce qu’on voit, entend, traverse, et ce qui se passe dans les images sur nos écrans, emplit des yeux, tout autour de la terre, en quelques clics et fractions de seconde.
Pourtant rien ne semble abolir la distance entre les corps, ceux que l’on connait, ceux qu’on devine, ceux qui bougent sur nos écrans et meurent là sous nos yeux aveuglés, dans une solitude qui troue et disjoint nos mémoires à jamais, plus délétère que des balles réelles.
Nous sommes en vie, pouvant encore marcher, nous ébaudir devant des paysages, des chemins, se croire pour quelques heures encore, libres vagabonds à la surface du monde terrestre.
Entre nous, il y a déjà la nuit, il y a toujours eu la nuit, une nuit noire, primordiale.
De la lumière nait le vivant, découpé, brodé, enchevêtré dans ce bloc noir.
La nuit nous fait unique et unis corps à corps dans une trame infinie de lumière qu’aucun de nous ne peut appréhender dans sa totalité.
Etat premier, à partir d’une photo prise par l’amie photographe au cours d’une marche.
Evidence de la juxtaposition d’un lieu ICI et l’attentat irruption de l’état du monde à Charlie Hebdo, journal de mon adolescence jusqu’à aujourd’hui : liste des morts.
Multiplier les points de vue, voir comment on voit de l’autre côté du monde : je tourne ma toile….liste des cargos défectueux parcourant encore la mer Méditerranée, chargés à ras bord de migrants, secourus en mer de plus en plus souvent, mais il y a des morts et ces morts sont anonymes…..
Retournement de la toile : Une plante carnivore sature la toile, l’impensé du réel m’oblige.
Retournement de la toile : le sud est en haut, on lit les noms de cargos, leur état, leur capacité, et l’opacité de leur port d’attache. Je dessine le pourtour de la Méditerranée après avoir fait des essais de gravure de cette mer, abandonnés parce que trop petits de surface en rapport aux dimensions de la toile et des personnages esquissés. Je place les villes les plus nommées sur ce pourtour.
Je travaille au sol, dans la troisième dimension de la toile, le dessin d’une embarcation. Je me peints ramant dans cette frêle embarcation. Je découpe et projette l’ombre de mon bateau sur le dessin de mon propre corps. Je la trace et froissant l’esquif de papier, je le découvre linceul, ça me va, ce suaire de papier brouillon. Après divers essais, je le couds à la toile en trois points.
Ajout de la bande collante spécifiant la nature fragile de l’objet contenu dans ce papier froissé.
J’ai fait le choix de ne pas exposer au sol, à l’avant de la toile, le vide de ce rafiot de fortune et son improbable rameuse. J’ai rassemblé dans mes mains l’ensemble du papier en essayant de protéger du froissement la figure de la rameuse. J’ai obtenu une sorte de sac de papier froissé que j’ai attaché au petit canot lui aussi froissé, obtenant ainsi une « poche autoportrait » fixée par un cordon de papier au linceul. La troisième dimension de ma toile est en place dans une matière très fragile mais la vie n’est-elle pas fragile ?