2006, c’est la première fois que je commence une si grande toile.

Dans un premier temps, j’éprouve le besoin impérieux d’exprimer, voire d’imposer au regard, d’abord par le dessin, la condition de la femme, de l’être femelle, dans le moment spécifique du pré-accouchement et la juxtaposition de sa rencontre avec l’être mâle de la même espèce, l’espèce humaine, dans sa force et sa faiblesse. 

Dans la poursuite de cette représentation plutôt intuitive, les femmes sont multiples autour de la parturiente, dans leurs âges et états/fonctions, les hommes représentés aussi. Le « bouclier de la Méduse » s’impose dans cette représentation afin de stopper le bruit des hommes. Il s’est imposé à la suite de la lecture du livre d’Hélène Cixous, «Le Rire de la Méduse et autres ironies» ed Galilée, 2010.

J’essaie d’imaginer la présentation de ce travail en 2010 et je pense sérieusement à le découper en scénettes vendues séparément accompagnées d’une carte postale figurant l’ensemble du travail. C’est pour cela que je réalise alors des photos morcelées.

En 2018 seulement je reviens sur ce travail et je le recouvre d’une peinture acrylique blanche qui à la fois voile et dévoile. 

En 2019, devant la densité de cette représentation, questionnée par l’effacement ébauché du voile de peinture blanche, je me décide à creuser un vide dans cette représentation, pour faire « respirer » ce qui se donne à voir. Une surface de plâtre occulte une partie de la toile. Elle me semble être « la tâche aveugle » de cette représentation de l’espace de communication entre ces deux genres. Elle est l’impensé du discours peint.

En 2020, je pense ce travail fini. Afin de le montrer plus facilement, je pense à la photo et sa reproduction sur bâche.(L= 115 cm, l= 105 cm) La représentation en est séduisante. Narcisse s’y laisserait prendre.

En 2021, lors d’un stage de céramique, je me décide à représenter en volume la surface plâtrée de la toile. Très vite je pense à cette poche originelle pour tous les genres humains, portée par les femmes seulement ; Cette poche s’imagine plus qu’elle ne peut être saisie par l’œil directement sans autre ajout technique ; elle se déchire lors de l’accouchement et se recroqueville sur la masse placentaire lors de l’expulsion de celle-ci. Ce lieu est commun à tous les humains, nous passons huit à neuf mois de vie à l’intérieur ; c’est le lieu de nos premières sensations, peut -être même émotions. Ce lieu nous relie comme expérience entre humains, entre mammifères. 

Résonance 1

Je ne décolère pas de ce que j’entends à la radio, TV, internet.

La folie des chiffres, l’emploi sans limite d’acronymes fantaisistes, pour dire le monde, sont une part de ma rage.

 Ils sont devenus la seule façon de retranscrire le réel dans sa complexité. Nous n’avons plus qu’une seule solution, une religion à adopter illico, le pragmatisme. Il est le rationnel à lui seul. Toute représentation du monde ne dépend plus que de chiffres (l’essor de l’informatique n’est-elle pas la porte d’entrée dans le XXI siècle) et les acronymes. Pour beaucoup d’entre nous, le monde s’obscurcit, il redevient  illisible. L’analphabétisme peut progresser, il ne sert à rien de savoir lire, tout du moins dans les basses classes sociales.

Je prends note sur la toile des chiffres que j’écris à l’ancienne en longues listes de petits bâtons, puis je passe aux chiffres romains, d’autres petits bâtons pour les nombres trop importants.

2945 manifestants et 1944 agents de la force publique, blessés, du 17 novembre 2018 à octobre 2019.

Parmi les manifestants, 25 oeils perdus, 5 mains. En décembre 2019, 147 plaintes pour violence policière. Pas de traduction en justice pour les 25 personnes ayant perdus un œil. 238 blessés à la tête, un décès.

Je note tous les acronymes gracieux  nous instruisant sur les armes utilisées sur les manifestants en France ; comme l’information est libre dans mon pays, je peux noter que ces mêmes acronymes servent de partout dans le monde où des gens réclament justice. Enfin de la normalité !  Le grand marchand d’armes sait ce qu’il vend et la qualité de ce qu’il exporte.

LBD tirés à hauteur de tête ? blessure à la tête

GLI-F4 explosif ss TNT, 160 décibels ?  surdité

Flash ball, grenade de désencerclement SBG sting ball grenade, fait partie des AFI, arme de force intermédiaire, GMD, DMP, PIE, GLI-F4, LBD en font partie.

BAC devient DAR détachement d’action rapide composé exclusivement de membres de la BAC, devient BRAV-M, brigade mobile en binôme, créée en mars 2019.

Secteur éducatif à la « SECURITE GLOBALE » :  pendant plusieurs heures des enfants dans la cour d’un lycée parisien, à Mantes La Jolie, ont été mis à genoux et menottés !!!!!!!!

Je note encore, j’emploie des couleurs chaudes, joyeuses, mais mes pinceaux sont sales et tout est grisé, j’écris pourtant les mots pour la défense : Street Medic/ Parapluies/ Fumées de pneus.

J’écris tout ce qui me déchire, des noms PORTEURS d’espoir, malgré l’injustice, l’emprisonnement, la mort. Julian Assange cloitré depuis 9ans, Adama Traoré mort, Cedric Herrou combattant de l’espoir, Samuel Paty mort, Georges Floyd mort…..

Je suis débordée, l’ombre est immense, ces pauvres noms qui ont franchis l’anonymat de la communication multimédia ne sont presque rien ….au regard de ce que je ne veux pas voir advenir….mon propre aveuglement tout est déjà là. La mélancolie est ma défense personnelle. Elle s’impose à moi. 

Ça pue la guerre !!!!  On nous habitue à sa présence !

Qui est ce « on » ? ça n’existe pas…..encore.

Résonance 4

Bouleau

Le process de cette toile s’étend pour l’instant de 2010 à 2018…..il est pour moi toujours en cours….il pourrait cependant être montré en l’état.

2010, j’habite depuis 3 ans ICI, en montagne, en bout de draille, noyée dans des pâturages, des marécages sans âge.

Trois ans de fourrage sous mes yeux, rentré, mangé, ruminé, retourné à cette terre par des bouses généreuses. Un cycle de vie et de mort….l’aînée de mes enfants vit dans un désir d’enfant loin de moi. J’aimerai liquider le passé, ce qui un jour m’entrave, un empêchement perpétuel. Pour la venue de cet être, j’ai un désir de table rase et un même désir de l’inscrire dans la grande histoire du vivant.

DESSINER sur la toile l’horizontale, un homme mort au sol, au mitan de la toile, décalé sur la droite. La mort comme horizon, entre ciel et terre. Une femme aux multiples visages, y compris celui de la mort, cage du cœur, ouverte sur le dos, en position assise, parle à une très jeune femme sur la défensive. Elles sont dessinées sur la gauche de la toile, à la verticale de l’ensemble.

Inclusion autour du tableau des deux femmes du haut et du bas d’une même botte de foin ronde……………fascination pour cette racine «  DHé » qui en langue indo européenne signifie têter ou sucer et qui est commune aux mots foin et femme.

DESSINER les tiroirs d’une morgue en ligne de fuite vers la gauche de la toile. Après avoir fixer abscisse et ordonnée du problème qui cogne en moi, je signale la profondeur du champ pictural où j’inscris ma démarche.

Un homme herculéen tente de soulever le corps mort. Un homme gracile, léger, voltige par-dessus ce même corps, un homme assis se penche vers les visages multiples de la femme assise. L’horizon entre ciel et terre reste la mort.

Stocker, ramasser ce qui fut éparpillé, dérouler les histoires, les rouler à nouveau, en faire une boule, comme Sisyphe, pour accompagner sur le chemin, un volume rond comme un ventre, un terreau pour le vivant à venir.

Intervention des sacs poubelle qui étouffent, qui emprisonnent les processus vivants, puants Ils seront dans un second temps taillés, découpés au ciseau…….fascination pour les abeilles en voie d’extinction, et pour le papillon fou de miel, au nom qui parle en moi, Achérontia Atropos. Les abeilles en langue indo-européenne ont la même racine étymologique que la parole, ainsi sont appelées les prêtresses du temple d’Artémis qui chacune à leur tour tisse le fil de la vie, le déroule et le coupe. Quant à Achérontia Atropos, il dort tout l’hiver sous terre dans une gangue très épaisse et nait papillon au printemps, gourmand de miel, tueur d’abeilles par inadvertance.

Des sortes d’insectes envahissent l’espace, en partant du bord inférieur gauche de la toile. Ces bestioles recouvrent, elles nient l’espace entre les corps féminins…..des feuillages denses, printaniers envahissent à leur tour l’espace gauche, cette fois par le haut de la toile, le foin disparait, le feuillage se veut branchage, arbre, il relie ciel et terre. Il participe du renouveau, du printemps, de la vie qui se continue ses cycles. 

Messages subliminaux, bribes de textes copiés à la main sur du papier enveloppant des cigares, mêlés à la gangue, pendent au bout de ces découpages et de ces déchirures, citations dans le vide de l’espace en avant du plan de la toile.

Ma mère se meurt lentement en ce mois de Mai que j’aime tant. Il y a 64 ans, elle me mettait au monde. Mon père est aussi mort en ce même mois, 33 ans plus tôt.

La vie bricole, tâtonne……moi aussi…..

Rideau de rafia vert noué sur une branche de bois, écorce retirée, travail long presque ennuyeux, je le ressens comme nécessaire, travail qui mime le tissage, travail d’une Parque !…..il fait écho à un feuillage printanier. Je choisis d’ouvrir l’espace à l’avant de celui en deux dimensions de la toile : fixer un bout de la branche à l’angle proximal gauche, en point de fuite des rangées des tiroirs mortuaires et ouvrir un angle avec l’autre extrémité de la branche dans une troisième dimension, éclairant le temps des morts, la gangue, le travail d’Atropos, la moire, et les messages échappés……  marquer le surgissement d’un nouveau possible par la pose d’une lampe ( J’ai déjà choisi, ce serait la lampe de la table de coupe de l’atelier de bonneterie de ma grand-mère). L’idée est venue en regardant des photos prises sous la lumière d’un velux dans mon atelier. 

Ramasser, recueillir, rassembler des choses informes à nos pieds, leur donner forme sans pour autant chercher à leur donner sens.

Résonance 2

Avoir mal

Janvier 2015, une marche entre amis, sur le plateau, le givre, la neige, le brouillard ………

La carrière dite de la main - ces personnages de pierre, fantomatiques dans le brouillard- est une ancienne décharge où force pancartes exhortent à ne plus dépose, là, n’importe quoi……

L’amitié comme les doigts d’une main, même en marchant ça se défait, s’espace, s’efface dans les lignes brouillées de nos vies, les chiens « compagnons de misère », Charlie qui nous apprit à rire de tout, écrabouillé, bousillé dans la terreur, l’internet des armes à profusion, la haine en char d’assaut.

Et « Viva la Muerte » comme hurlait un général franquiste galvanisant ses troupes !

De l’autre côté de la haine, il y a  le passé de nos états et leurs colonies, des peuples avilis, honnis.

Pauvres gens, propriétaires enrichis, bien-pensants,  éducateurs chrétiens la fibre commerçante blanche -  au goût du jour en somme -  tous, ils clament leur innocence et leur douleur. A ce jour devant nous,  il y a la mer de nos enfances, si douce, si chaude, si parfumée, et des Hommes fuyant le désespoir qui s’y noient par centaines, dans le présent de tous.

Je marche, tu marches, nous marchons jusqu’à nous étourdir de silence.

Ce qu’on voit, entend, traverse, et ce qui se passe dans les images sur nos écrans, emplit des yeux, tout autour de la terre, en quelques clics et fractions de seconde.

Pourtant rien ne semble abolir la distance entre les corps, ceux que l’on connait, ceux qu’on devine, ceux qui bougent sur nos écrans et meurent là sous nos yeux aveuglés, dans une solitude qui troue et disjoint nos mémoires à jamais, plus délétère que des balles réelles.

 Nous sommes en vie, pouvant encore marcher, nous ébaudir devant des paysages, des chemins, se croire pour quelques heures encore,  libres vagabonds à la surface du monde terrestre.

Entre nous, il y a déjà la nuit, il y a toujours eu la nuit, une nuit noire, primordiale.

De la lumière nait le vivant, découpé, brodé, enchevêtré dans ce bloc noir.

La nuit nous fait unique et unis corps à corps dans une trame infinie de lumière qu’aucun de nous ne peut appréhender dans sa totalité. 

 Etat premier, à partir d’une photo prise par l’amie photographe au cours d’une marche.

Evidence de la juxtaposition d’un lieu ICI et l’attentat irruption de l’état du monde à Charlie Hebdo, journal de mon adolescence jusqu’à aujourd’hui : liste des morts.

Multiplier les points de vue, voir comment on voit de l’autre côté du monde : je tourne ma toile….liste des cargos défectueux parcourant encore la mer Méditerranée, chargés à ras bord de migrants, secourus en mer de plus en plus souvent, mais il y a des morts et ces morts sont anonymes…..

Retournement de la toile : Une plante carnivore sature la toile, l’impensé du réel m’oblige.

Retournement de la toile : le sud est en haut, on lit les noms de cargos, leur état, leur capacité, et l’opacité de leur port d’attache. Je dessine le pourtour de la Méditerranée après avoir fait des essais de gravure de cette mer, abandonnés parce que trop petits de surface en rapport aux dimensions de la toile et des personnages esquissés. Je place les villes les plus nommées sur ce pourtour.

Je travaille au sol, dans la troisième dimension de la toile, le dessin d’une embarcation. Je me peints ramant dans cette frêle embarcation. Je découpe et projette l’ombre de mon bateau sur le dessin de mon propre corps. Je la trace et froissant l’esquif de papier, je le découvre linceul, ça me va, ce suaire de papier brouillon. Après divers essais, je le couds à la toile en trois points.

Ajout de la bande collante spécifiant la nature fragile de l’objet contenu dans ce papier froissé.

J’ai fait le choix de ne pas exposer au sol, à l’avant de la toile, le vide de ce rafiot de fortune et son improbable rameuse. J’ai rassemblé dans mes mains l’ensemble du papier en essayant de protéger du froissement la figure de la rameuse. J’ai obtenu une sorte de sac de papier froissé que j’ai attaché au petit canot lui aussi froissé, obtenant ainsi une  « poche autoportrait » fixée par un cordon de papier au linceul. La troisième dimension de ma toile est en place dans une matière très fragile mais la vie n’est-elle pas fragile ? 

Résonance 3

Danser

Elle

Le phénomène de RESONANCE, n’est rien d’autre que l’effet d’accumulation de l’Energie en injectant celle-ci au moment où elle peut s’ajouter à l’Energie déjà accumule, en phase avec elle.

Le sens du mot au XV siècle, c’est un son. Puis il devient un phénomène physique d’excitation.

Son sens continue d’évoluer, pour devenir transmissions de vibrations, d’ondes. 

Ces Grandes Toiles sont comme la résonance d’évènements extérieurs ou intérieurs affectant ma vie.

Résonance

Vouloir représenter le réel ce n’est jamais le représenter dans sa totalité.

Notre expérience du réel est faite de sensations, émotions, souvenirs, et de la présence multiforme  du vivant à nos côtés. Vouloir montrer une parcelle de l’expérience qu’on en fait, c’est faire des choix.

Ces paysages sans la structure d’un horizon sont une expérience vue et vécue pendant les mois de mai, juin, juillet, sur le Plateau du Mézenc.

Rien ne les ferme ou ne les arrête. Ces paysages dans lesquels je me déplace,  changent sans cesse, au rythme de mon pas,  de mes pensées, émotions, sensations. Jamais je ne me suis vécue comme leur centre mouvant éprouvant. J’y suis submergée,  à l’intérieur des prairies. Si il y eut un point d’appui, j’aurai aimé qu’il ne soit que variations des couleurs,  intensités, valeurs, selon l’heure, la luminosité ambiante, le vent qui éparpilla ces graminées par le passé, l’hiver, où tout se mit en dormance…..un déplacement dans le temps.

La présentation en palissade en montre une esquisse mouvante, rythmique.

Je n’ai pas travaillé ces toiles en palissade mais individuellement. En cela, J’ai  failli au rendu de l’expérience vécue :

La présentation en toiles individuelles montre un sens du proche au lointain auquel je n’ai pu échapper mais que j’ai sans doute inconsciemment recherché, pour «reprendre pied» ; à mes yeux ce choix de présentation morcelle la sensation jusqu’à pouvoir montrer une tapisserie fleurie !!

Le paradoxe de cette peinture est que dans l’expérience, tout m’est donné en même temps, je le sais et ne le maîtrise jamais. Au final, chacun de mes atermoiements se voit et trouble l’expérience du regardeur.

La seule expérience qui vaille est de tendre à entrer par le regard dans un rythme et s’y laisser absorber. Je me dois de reprendre un jour ce rendu, en le travaillant sur l’ensemble des toiles, dans une linéarité rythmée par la couleur.

Plein champ

Il n’y a pas de sujet d’étude, hors collection particulière.

Ces peintures, dans leur grande majorité, ne recherchent pas un effet de réel mais plutôt, une danse ou un chant au rythme des couleurs.Elles sont le plus souvent mise en œuvre sur une toile de coton préencollée sur châssis. 

Certaines sont sur papier kraft, sur carton épais, sur papier photo déjà imprimé. Les techniques employées sont mixtes, fusain, craies grasses, encre, colles, mais la plupart des grandes surfaces sont en acrylique.

Cécétiane

Peinture